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7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 21:18

 

« La courbe descendante du pétainisme et la courbe ascendante du gaullisme se croisent quelque part vers la fin de 1942 ou le début de 1943. »1 Paxton a raison, mais il faut être nuancé. Les Français sont en majorité attentistes et non gaullistes ; il y a très peu d'engagement dans la résistance. Les Français craignent aussi une libération avec un coût trop élevé avec les armes.

C'est pourquoi Paxton conclut : « les deux courbes ne sont pas régulières ».

 

 

Vichy s'épuise. Le tournant se situe à l'hiver 1942-1943. La zone libre est envahie. Malgré les protestations « contre ces décisions incompatibles avec les conventions d'armistice »2, Pétain n'a plus sa flotte et son empire. Vichy est encore plus en situation constante de faiblesse. Le maréchal perd le faible rôle qu'il avait auparavant. Il cède trop souvent aux exigences allemandes, quand il ne prend pas d'initiative de lui-même au préalable. La collaboration n'apporte plus rien, puisqu'en réalité l'Allemagne n'accorde aucune concession. Hobbes pense que la souveraineté est toujours légitime quand est le signe d'une rationalité positive et agissante des hommes. Ce n'est plus le cas : le pouvoir donné à Pétain pour « atténuer les malheurs de la France » n'agit pas. Il y a d'une manière perte de légitimité. Pétain n'a désormais qu'un rôle effacé. Ainsi, Laval obtient les pleins pouvoirs le 17 novembre 1942, grâce à l'acte constitutionnel n°123.

 

La légalité et la légitimité du régime de Vichy s'avèrent être d'éphémères produits de circonstances. C'est la fin des illusions. Pétain est de plus en plus seul, il n'a plus que les apparences du pouvoir et subit des pertes de lucidité de plus en plus importantes à cause de son grand âge (87 ans).

 

La France cesse d'être pétainiste, et devient attentiste. On constate la totale réprobation des Français face à cette politique. Pétain est désavoué, bien que l'action publique n'a qu'une relation indirecte avec l'action politique, surtout dans un régime totalitaire. Mais l'impression générale du régime est que la façon de gouverner ne correspond pas à l'opinion populaire voulant que le pouvoir..

L'Etat français va à l'encontre de la population. Certaines villes, industrielles, comme Clermont-Ferrand, l'opinion n'a jamais soutenu majoritairement Vichy.

 

Après novembre 1942, il est vital d'aider Vichy pour conserver l'autorité d'Etat souverain. Le pouvoir de Vichy n'est accepté que s'il est garant de l'ordre et de la sécurité. C'est son principal objectif. Or l'agitation dans le pays s'étend. L'autorité du maréchal Pétain est petit à petit contestée. La domination résulte du recours à la puissance pour obtenir l'exécution des décisions. L'obéissance des dominés est consentie lorsque l'autorité est légitime.

 

 

L'opinion publique interprète les évènements qui se déroulent sur le front russe comme le premier signe d'un renversement de la situation en faveur du bloc russo-anglo-américain. La résistance anglaise efficace, l'entrée en guerre des Etats-Unis, l'échec allemand à Moscou puis Stalingrad font naître l'idée que le IIIè Reich ne gagnera finalement pas la guerre. La France sera libérée. Devant la multiplication des défaites allemandes, les Français reprennent espoir. On observe une nouvelle affluence en faveur de la Résistance. De Gaulle devient populaire.

 

D'autant plus que l'occupation devient de plus en plus difficile à affronter, que l'exploitation économique se durcit, que les souffrances et les privations des Français augmentent. Bien qu'Hitler se moque de la Révolution nationale, il exploite la France : il veut faire fonctionner la machine de guerre allemande. Les polices française et allemande se mettent à coopérer pour démanteler la résistance.

 

Le 10 novembre 1942, de nouvelles négociations ont lieu à Munich, pour « une participation active de la France à la guerre contre l'Angleterre et les Etats-Unis aux côtés de l'Axe », si en échange l'Allemagne reconnaît l'indépendance de la France. Cela n'aboutit pas.

 

À l'inverse, d'autres pays européens ayant fuit ou non à Londres et disposant seulement d'une administration du pays (on parle de « politique de gérance »), la France a une situation plus favorable. Elle est administrée par elle-même. De plus, il y a en France un gouvernement souverain : c'est la « politique de souveraineté ». L'occupation de la France n'est pas celle de la Pologne.

 

 

 

 

Pétain perd un appui solide, celui du pape Pie XII qui juge, le 1er janvier 1943 comme de Gaulle qu'« il ne peut y avoir de gouvernement français légitime qui ait cessé d'être indépendant. ». Comme le Vatican, l'Eglise rompt avec le régime de Vichy. Mgr Saliège à Toulouse

 

 

Le 30 janvier 1943, Darnand crée la milice, puis la deuxième loi sur le STO est faite le 16 février 1943. Le régime de Vichy s'éloigne de plus en plus de la population pour mieux collaborer. On assiste à la création des premiers maquis dans la montagne dont les personnes traquées sont des républicains espagnols, des juifs, des Alsaciens-Lorrains, des réfractaires du STO, des volontaires, soit au total 250 000 hommes qui s'engagent dans la résistance au côté de De Gaulle. Il existe des divisions très prononcées (gaullistes, communistes, giraudistes), mais tous ont le même but : la construction d'une voie alternative à celle choisie par Vichy.

 

 

En mars 1943, le démantèlement de la législation vichyste en Afrique fait perdre une partie de la légitimité de Pétain. À la même période, Jean Mouiln créé les Mouvements Unis de la Résistance (MUR). Sa première session plénière a lieu le 27 mai 1943 : on décide de confier la gestion des intérêts de la France au général de Gaulle et le commandement des forces armées au général Giraud

mise en place du CNR. Vis à vis des institutions, la légitimité bascule !

 

 

La France Libre est un mouvement construit progressivement par De Gaulle, et qui conteste la légitimité de Pétain, qu'elle juge illégitime parce qu'il a choisi la collaboration. De Gaulle a le soutien constant de l'opinion et de la presse anglo-saxonne. Les Britanniques créent le SOE (Special Operation Executive) pour « coordonner toute action (subversion, sabotage) contre l'ennemi sur le continent ». La résistance en France et depuis l'étranger contribue à l'effort de guerre allié.

 

La Résistance se donne en 1943 un hymne : Le Chant des partisans4, dont on siffle la mélodie dans les maquis. De Gaulle, à travers la Résistance, veut le respect des valeurs de la nation.

 

De Gaulle charge Jean Moulin d'unifier la Résistance.Les Etats-Unis ignorent De Gaulle. Il faut unir la résistance sous l'autorité du général de Gaulle pour donner une légitimité à son action. La méfiance et l'hostilité irrationnelles de Roosevelt mène de Gaulle à ne pas vouloir se laisser dicter sa politique.

 

Le prestige de Pétain s'effrite petit à petit, tout en demeurant. Tout en demeurant, oui, l'analyse de la légitimité est faite de paradoxes. On assiste à un divorce croissant entre l'opinion française et le gouvernement de Vichy. Le vent tourne ! La politique discriminatoire et répressive, les contraintes de l'occupation contre lesquelles Pétain ne peut rien, l'action des opposants qui tente de plus en plus de Français détachent tout doucement l'opinion de Vichy. À cela s'ajoute la poursuite de la collaboration. On en distingue trois formes : par intérêt général, par adhésion à l'idéologie (collaborationnisme), par « collaboration d'Etat » (intérêt général) afin d'obtenir des concessions.

Malgré la collaboration, Pétain n'est pas le plus mal traité ! Laval est souvent le bouc-émissaire ; c'est « un envoyé des dieux pour les caricaturistes »5.

 

Devant ces difficultés, Pétain renforce son charisme. « La majesté naturelle ne s'explique d'aucune façon » clame Loustaunau-Lacou, au sujet de Pétain. Sa présence déclenche toujours le déplacement de foules nombreuses ; le portrait du maréchal trône depuis 1940 dans le salon des familles françaises.

 

 

Les contemporains résument l'Occupation à : « Terreur blanche, bibliothèque rose, marché noir. »

Terreur blanche. Les Juifs, la Milice, les exécutions, les otages, les représailles, les dénonciations, les attentats, la répression, la peur des Allemands, la torture, les délations, les lâchetés, les malversations, les égoïsmes sont autant de composantes de la vie quotidienne des Français. Les situations dans les familles ne sont pas stables : le père est la plupart du temps absent, qu'il soit résistant, prisonnier, travailleur pour l'Allemagne.

Bibliothèque rose. C'est le nom donné à la lutte du maréchal, à l'humiliation, à l'amertume, au désespoir. Qu'espérer ? La victoire allemande ? Russe ? Le triomphe de la résistance ? La radio et la propagande se joignent à cela.

Marché noir à cause des pénuries, du rationnement, de la misère. 150 000 personnes meurent de faim. L'obsession du ravitaillement, les tickets, le couvre-feu, le système D. Le pouvoir économique est inséparable du pouvoir politique.

Les Chantiers de Jeunesse, afin d'encadrer la jeunesse, constitue un outli d'endoctrinement.

 

 

Malgré la collaboration, l'Allemagne n'est pas l'amie de la France. Pétain n'a plus que les apparences du pouvoir. Un des principaux objectifs de Pétain n'est pas atteint : celui de la libération des prisonniers. Ils sont plus de 2 500 000 en Allemagne, dont la moyenne d'âge est de trente ans ! Un quart mariés, la moitié ont des enfants. Entassés, ils vivent difficilement.

 

En France, l'espoir secret est que Vichy reprenne la guerre aux côtés des Alliés.

 

 

La légitimité de De Gaulle s'affirme progressivement. « La République, il fut un temps où elle était reniée, trahie par les partis eux-mêmes. Alors moi, j'ai redressé ses armes, ses lois, son nom. J'ai fait la guerre pour obtenir la victoire de la France et je me suis arrangé de telle sorte que ce soit aussi la victoire de la République. Je l'ai faite avec tous ceux, sans aucune exception, qui ont voulu se joindre à moi. À leur tête, j'ai rétabli la République chez elle. » De Gaulle

 

Lettre de Léon Blum à Churchill et Roosevelt (novembre 1942)

« Si le général de Gaulle incarne cette unité, c'est qu'il en est, dans une large mesure, l'auteur. J'ai été, comme des millions de Français, le témoin quotidien de son oeuvre. Dans une France assommée et hébétée et par un désastre incompréhensible, étouffée par une double oppression, c'est lui qui a ranimé peu à peu l'honneur national, l'amour de la liberté, la conscience patriotique et civique. Je ne fais pas seulement cette profession de foi en mon nom personnel, je sais que je suis l'interprète de tous les socialistes regroupés en France. Je suis convaincu que j'exprime l'opinion de la masse des républicains, ouvriers ou paysans. On sert la France démocratique en aidant le général de Gaulle à prendre dès à présent l'attitude d'un chef. Quand je parle ainsi, je ne pense pas jeter la France dans les bras d'un nouveau dictateur. »

 

La légitimité du général est grandissante.

 

 

 

 

 

La légitimité rationnelle-légale du général de Gaulle se précise. Il obtient le ralliement de partis politiques et de personnalités divers : la gauche, le SFIO (avec l'entrée d'André Philip au Comité National en 1942), le Parti Communiste (de Fernand Frenier le 12 janvier 1943), les radicaux (Edouard Herriot au cours d'avril 1943), mais aussi Christian Pineau, Léon Blum...

 

 



 

 

 

 

La France a besoin d'une assise territoriale pour asseoir sa légitimité et agir. Elle ne veut pas donner seulement l'impression d'un gouvernement en exil. C'est pourquoi le 30 mai 1943, de Gaulle s'installe à Alger, et y organise son pouvoir et les institutions. De Gaulle conserve le principe de démocratie, « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » de Lincoln.

 

 

 

On assiste à un duel : De Gaulle contre Giraud. Le « vainqueur » peut prétendre à être légitime pour défier le maréchal Pétain...

 

Alors que l'amiral Auphan démissionne et que Darlan se range du côté des Alliés (« le maréchal n'est plus libre » selon lui), Henri Giraud s'évade de la prison d'où il était retenu en Allemagne.

 

Roosevelt s'appuie sur Darlan, qu'il estime être dépositaire de la légitimité de Pétain tout en souhaitant désormais la libération française. Le 24 décembre 1942, Darlan est mystérieusement assassiné

Giraud de succéder alors à Darlan (le 26 décembre) en tant que commandant civil et militaire en Afrique, et dirige ainsi l'Afrique du Nord. Le pouvoir de la résistance s'amplifie. Mais De Gaulle n'est toujours pas reconnu comme le chef de la France libre par ses alliés. C'est ce que l'on peut observer les 22-23 janvier 1943 à la conférence d'Anfa qui réunit Giraud, Roosevelt et Churchill. Les Américains préfèrent Giraud à de Gaulle.. Henri Giraud, 63 ans, général 5 étoiles, représente donc les intérêts français à la place de De Gaulle aux yeux des Américains, de Gaulle étant systématiquement tenu à l'écart par les Américains. Pourtant, Giraud adhrère aux idées vichystes ! Les lois du régime de Vichy sont maintenues en Afrique du Nord ! De Gaulle est salué par la communauté juive américaine, car il a la volonté de rétablir le décret Crémieux (concernant les Juifs), alors que Giraud s'y oppose.

 

 

 

 

 

 

Au sujet de Giraud, Pétain avait écrit un jour pour le noter : « Indécis, lent, peu de personnalité. Peu travailleur, manque d'entrain, a une confiance en soi qui ne paraît pas justifiée. »

 

Roosevelt à Churchill : « Nous appellerons Giraud le marié, et je le ferai venir d'Alger. Quant à vous, vous ferez venir à Londres la mariée, et nous arrangerons un mariage forcé. » Roosevelt veut éliminer De Gaulle avec Churchill. Churchill cède à la proposition de son homologue américain, mais renonce finalement, car il mesure l'importance de la résistance.

 

De Gaulle consent à ce que Giraud puisse commander l'armée. Les intermédiaires sont le général Catroux (pour de Gaulle) et Jean Monnet pour Roosevelt (donc Giraud) qui est mandaté à Londres. Mais Giraud est incapable de rassembler les forces françaises.

 

De plus, De Gaulle a un atout décisif : l'appui de la Résistance Intérieure.

En 1943, la Résistance est en effet enracinée dans le pays, et regroupe toutes les pensées politiques, comme le Parti Communiste, à travers Fernand Grenier. De Gaulle a réussi à faire naître chez les Français la possibilité de se libérer par leurs propres efforts.

 

 

 

 

 

 

O

Pierre Laval

n assiste à un autre duel : Pétain contre Laval. Si Pétain en est le « vainqueur », cela renouvelle sa capcité à être le chef de la France, surtout face à un Pierre Laval qui prend beaucoup d'initiatives par lui-même et qui est un peu incontrôlable.

 


 


 

Le pouvoir est délégué, pour assurer les fonctions régaliennes de l'Etat. Donc les actions de Laval sont directement associées aux choix de Pétain ! Or Laval n'est pas le moins du monde apprécié auprès des Français, ce qui permet aux Français de remettre en question la légitimité qu'ils louent au maréchal. C'est une forme de désapprobation.

 

En 1943, on constate le ralentissement des déportations des juifs en 1943. Laval veut, en février 1943, s'en tenir aux Juifs étrangers. Est-ce le signe de mauvaise volonté de coopérer ? Ce ralentissement peut aussi s'expliquer par le fait que les Juifs français sont très dispersés dans le pays.

 

 

 

Mais bien que Pétain affronte d'une certaine manière Laval, et que de Gaulle défie Giraud, la confrontation reste toujours la même : Pétain contre De Gaulle.

 

 

 

 En bilan, De Gaulle parvient à rallier à sa cause les résistants et les forces alliées. Pour Leclerc le 12 mai 1943. « il n'y a qu'une seule chose qui compte, c'est la libération de la France, et pour cela il n'y a qu'un seul chef possible, le général de Gaulle. » L'existence de la Résistance donne une légitimité à celui qui la gère, d'autant plus que la Résistance en France s'est unifiée en Forces Françaises Libres (FFL) et Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) clairement organisées. Le régime de Vichy bascule dans le doute, la peur, les incertitudes. Aux yeux des Français, le mythe d'un Vichy préparant la revanche s'effondre.

 

1La France de Vichy, Robert O. Paxton

2D'après les termes du maréchal Pétain

3Voir Annexes p. 84 - Actes constitutionnels

4Voir Annexes p. 75

5La France de Vichy, Robert O. Paxton

Roosevelt et Giraud.

Exemple d'action de la Résistance : le sabotage.

Affiche de propagande de l'Etat français

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