La perte de confiance en l'Etat français de la part des Français se traduit par la mort de Vichy, qui se manifeste à partir du 6 juin 1944. Pétain continue d'incarner la légitimité jusqu'au débarquement. Au-delà c'est terminé !
L'opération Overlord, dirigée par Eisenhower, mobilise quatre millions d'hommes, qui débarquent sur cinq plages de Normandie. C'est la plus grande opération amphibie de tous les temps.
Le général Eisenhower sait que son président n'estime pas beaucoup le chef de la France Libre. Il dit pourtant à De Gaulle : « Pour la prochaine campagne de France, j'aurai besoin de votre appui, du concours de vos fonctionnaires, du soutien de l'opinion française. Je ne sais pas encore quelle position théorique mon gouvernement me prescrira de prendre dans mes rapports avec vous. Mais en dehors des principes, il y a les faits. Je ne connaîtrai en France d'autre autorité que la vôtre. » Eisenhower s'apprête à aller à l'encontre des choix de Roosevelt, et par extension à donner une légitimité à de Gaulle.
De Gaulle se revoit à l'âge de quinze ans, quand il écrit un texte d'adolescense qu'il intitule « Campagne d'Allemagne », et où, dans son récit, à la tête d'une armée de 200 000 hommes, il est le vainqueur et le sauveur de la France ! Il lance un appel au soulèvement : « c'est la bataille de la France, c'est la bataille de la France. »1 « Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes, voici que reparaît le soleil de notre grandeur. » De Gaulle, le 6 juin 1944
Du côté des résistants, sont enclenchés le « plan Bibendum » pour couper les routes, le « plan Vert » pour paralyser les chemins de fer, le « plan Bleu » pour paralyser les lignes à haute tension, et le « plan Violet » afin de paralyser les lgines téléphoniques.
Trois jours plus tôt, le CFLN rend publique une ordonnance qui annonce la constitution d'un gouvernement provisoire de la République française. Le CFLN devient le GPRF et s'appui sur les forces de la Résistance pour libérer le territoire français. Le 4 juin, de Gaulle rejoint Londres en vue du débarquement. Son autorité renforcée, mais il n'est informé que quelques jours seulement avant le débarquement, grâce à son opposition au projet des Alliés de mettre la France sous l'administration des Anglo-Américains, l'AMGOT (le gouvernement militaire allié des territoires occupés).
De Gaulle refuse une domination conjointe des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l'URSS. La monnaie frappée par les Etats-Unis pour être utilisée en France que « le gouvernement de la république ne reconnaît pas » est le symbole fort de l'exercice du pouvoir du général de Gaulle face et avec les Alliés.
Grâce à la complicité de Montgomery et d'Eisenhower, une administration gaulliste est substituée à l'administration vichyste de Bayeux. Les pseudo-administrateurs américains sont rappelés.
La veille d'Overlord, sur les ondes de la BBC, aux alentours de 21 h 15, un message codé est diffusé : « les sanglots longs des violons de l'automne bercent mon coeur d'une langueur monotone. » Qui donc prononce le discours ? C'est Charles de Gaulle bien sûr. Il a donc incontestablement une autorité et une légitimité, en tant que chef de la France Libre.
Avec la libération qui commence, c'est un changement à cent quatre-vingt degré avec les quatre années précédentes sur tout ce que les Français croyaient ! Les découvertes et révélations respectivement sur Pétain et de Gaulle font de la libération un retournement total de la situation. D'après l'opinion publique, de Gaulle est le sauveur et Pétain l'imposture. Le monde de Pétai s'écroule complètement. La légitimité est totalement inversée. C'est le sursaut de la population française.
De Gaulle ne peut fouler le territoire français que huit jours après le 6 juin 1944. Le 14 juin, il est acclamé à Bayeux. Un témoin raconte et compare la tapisserie à De Gaulle comme s'il était « sorti de la tapisserie de Bayeux ! » Les Etats-Unis ne doutent plus de sa légitimité.
On croit à une entente Pétain et de Gaulle. On s'aperçoit vite son absurdité. Hitler a lui-même longtemps soupçonné Pétain et de Gaulle d'avoir conclu un accord secret.
Pétain crie haut et fort « je suis et demeure moralement votre chef ». Il n'est pas écouté. Il a perdu sa légimité charismatique. Désormais, Pétain a deux préoccupations : maintenir la France dans la neutralité et assurer la passation des pouvoirs au général de Gaulle. La légitimité est la condition de la pérennité d'un pouvoir. Pétain le sait, d'où son désire de transmettre le pouvoir dont il a usé à son ancien proche. Son rêve est une passation d'honneur. C'est un rêve. Car de Gaulle nie toute légalité au régime institué le 10 juillet 1940.
De Gaulle, en définitive, a compris la guerre ! Pétain est un homme du XIXè siècle. Il n'a pas compris la guerre et le fait qu'elle était mondiale. Il pensait qu'elle était rapide et irréversible. Pétain est enlevé par les Allemands le 20 août 1944. Les Allemands craignent qu'il se rallie aux Alliés.
« Pendant quatre ans, j'ai reçu vos compliments et vos fécilitations. Vous m'avez encouragé. Et maintenant, parce que les Américains sont aux portes de Paris, vous commencez à me dire que je vais être la tache de l'histoire de France... » Pétain
« Paris outragé, Paris martyrisé, mais Paris libéré » le 25 août par la 2è D.B. Eisenhower offre la libération de Paris à De Gaulle. Le général Leclerc reçoit la capitulation. Comme l'avait prévu de Gaulle dans son discours du 18 avril 1942 (« la libération nationale ne peut être séparée de l'insurrection nationale »), les Parisiens avait sorti les barricades.
D
Le général de Gaulle à Paris.
ans les rues parisiennes, c'est l'euphorie. Personne ne conteste plus son autorité. Les hommes qui acclamaient Pétain quelques semaines plus tôt acclament désormais De Gaulle. Le peuple français est opportuniste. Sur les 42 millions d'habitants de la France, 213 000 cartes de résistants ont été délivrés, 55 000 français se sont engagés dans la Milice et 50 000 dans la FFL. Quant au FFI, ils sont passés de 100 000 à 500 hommes ! « Nous n'avons su que le général de Gaulle était grand qu'en 1944 » dit Malraux. 40 000 résistants ont été fusillés.
Le 26 août 1944, l'amiral Auphan est envoyé par Pétain auprès de De Gaulle pour négocier une « passation de pouvoirs ». Auphan est éconduit. Gaullisme et pétainisme sont irréconcilables.
De Gaulle refuse de proclamer la République, estimant qu'elle a été maintenue depuis 4 ans : à Londres puis à Alger. « La République n'a jamais cessé d'être [...] Vichy fut toujours nul et non avenu. Moi-même, je suis président du gouvernement de la République. Pourquoi vais-je la proclamer ? » De Gaulle légitimise lui-même ses propres actions, son exercice du pouvoir.
Par cette déclaration, De Gaulle attribue les lois antisémites, les rafles, etc, aux hommes ayant composé Vichy. Vichy est donc sans légitimité. Vichy est une parenthèse selon De Gaulle. Les crimes sont imputables à des hommes (Pétain, Laval), et non à la nation. Il n'y a pas de repentance à faire.
Ordonnance du 9 août 1944 : « Le premier acte de ce rétablissement est la constatation que la forme du gouvernement est et demeure la République. En droit, celle-ci n'a pas cessé d'exister. Cette constatation primordiale exprimée, il s'ensuit une autre : les lois et règlements que l'autorité de fait qui s'est imposée à la France a promulgués ne peuvent tirer de sa volonté aucune force obligatoire. Tout ce qui est postérieur à la chute, dans la journée du 16 juin 1940 du dernier gouvernement légitime de la République, est frappé de nullité ».
Le 26 août, de Gaulle descend l'avenue des Champs Elysées acclamé avec les résistants. De l'Arc de Triomphe à Notre Dame, c'est la ferveur de la population.
Vient l'heure du procès dont ne souhaitait pas de Gaulle. Il dira dans ses Mémoires que « Pétain est mort en 1925, mais [que] nul n'a jamais osé le lui dire, il n'en a donc rien su. » Charles de Gaulle aurait préféré un jugement par coutumace et que Pétain reste en Suisse. Au contraire, Pétain veut son procès, comme un ultime combat pour son honneur. « C'est au peuple français que je suis venu rendre des comptes. » Pétain n'est estime être responsable que devant les Français et non devant la Haute Cour de Justice. Dans une lettre, il écrivait même à Hitler : « Je ne puis soustraire à mes responsabilités. [...] Je veux répondre de mes actes et je suis seul juge des risques que cette attitude peut comporter. [...] À mon âge, je ne crains qu'une chose, c'est de n'avoir pas fait tout mon devoir. » Le procès permet une approche de la légitimité vis à vis de la justice, et par extension des institutions.
Le procès s'ouvre dans la colère, la honte, la tristesse. À l'arrivée de Pétain dans la salle d'audience, tous se lèvent pour le laisser passer, comme un vieux réflexe. Les avocats de Philippe Pétain sont Jacques Isorni, Jean Lemaitre, Fernand Payen, contre le procureur Morveu, le 11 août 1945. Pétain est accusé d'avoir été au-delà du mandat que le Parlement lui avait confié à la suite d'un « complot contre la République » et d'avoir profité de son pouvoir et de sa légitimité. Le discours de Pétain est d'une lucidité extraordinaire. Il s'exprime le premier jour et se tait jusqu'au verdict.
« L'occupation m'obligeait aussi, contre mon gré et contre mon coeur, à tenir des propos, à accomplir certains actes dont j'ai souffert plus que vous, mais, devant les exigences de l'ennemi, je n'ai rien abandonné d'essentiel à l'existence de la patrie. Au contraire, pendant quatre années, par mon action, j'ai maintenu la France, j'ai assuré aux Français la vie et le pain, j'ai assuré à nos prisonniers le soutien de la nation. [...] C'est l'ennemi seul qui, par sa présence sur notre sol envahi, a porté atteinte à nos libertés et s'opposait à notre volonté de relèvement. [...] Des millions de Français pensent à moi, qui m'ont accordé leur confiance et me gardent leur fidélité. [...] En me condamnant, ce sont ces millions d'hommes que vous condamneriez dans leur espérance et dans leur foi. »2
Pétain rappelle ce qu'il déjà un an plus tôt : « Je n'ai eu qu'un but, vous protéger du pire. En certaines circonstances, mes paroles ou mes actes ont pu vous surprendre. Sachez enfin qu'ils m'ont fait alors plus de mal que vous n'en avez vous-mêmes ressenti. J'ai souffert pour vous, avec vous... »3
« À votre jugement répondront celui de Dieu et celui de la postérité. Ils suffiront à ma conscience et à ma mémoire. Je m'en remets à la France ! ... ». Les choix qu'a fait Pétain ne sont pas ceux auxquels la France a donné raison.Pétain affirme avoir été un « allié secret du général De Gaulle ». Pétain avait été « le bouclier » et de Gaulle avait été « l'épée ». C'est la position de Pétain. On ne peut pas dire qu'elle est vraie, même si « la zone libre a respiré un peu mieux que l'autre pendant deux ans ».
« S'il a fait don de sa personne, c'est comme une prostituée, mais ce n'est pas à la France » selon Camus. Le procès est aussi vif que celui de Jeanne d'Arc ou de Louis XVI. Les jurés prennent en compte leur propre situation pendant ces « années noires ». « Ne reculons pas devant cette pensée qu'une part de nous-mêmes fut peut-être complice, à certaines heures, de ce vieillard foudroyé. »4 La presse réclame la peine capitale. Le « fils aimé »5 de Pétain reste muet.
Le procès dure un mois. Lebrun, Reynaud, Darlan, Laval, Blum témoignent. La question du génocide est peu évoquée. Le procès, en fin de compte, est l'affirmation de la légitimité de la France libre
Le verdict tombe le 15 août 1945 : la peine de mort, reconnu « coupable d'intelligence avec l'ennemi et de haute trahison », qui est finalement commuée. La sentence n'est pas exécutée. De Gaulle aurait signé la grâce si la condamnation à mort avait été maintenue.
Pétain admirait De Gaulle. C'est peut être le fils qu'il aurait voulu avoir ou la personne qu'il aurait voulu avoir été.
La justice française qui poursuivait les résistants pendant la guerre punit désormais les « collabos ». Au final, le procès est l'affirmation de la plus complète illégitimité du régime de Vichy et l'affirmation de celle du général de Gaulle.
Le GRPF s'installe à Paris le 31 août 1944 ; un gouvernement est formé le 8 septembre. Il prend le nom de Gouvernement Provisoire de la République Française (GRPF), dont De Gaulle est le chef.
Le 10 septembre 1944, la législation de Vichy est abolie, ce qui rend l'Etat français davantage illégitime.
Le 23 septembre, les Alliés reconnaissent l'autorité du GRPF. Il devient le gouvernement officiel et légal de la France. Roosevelt ne reconnaît le GPRF qu'à la veille des présidentielles américaines.
« De Gaulle a survécu a un rapport de force singulièrement défavorable. »6
La légitimité acquise du général de Gaulle rencontre cependant des limites. Il n'est pas invité le 4 février 1945 à la conférence de Yalta.7 Mais les limites ne restent que temporairement. « Le général De Gaulle assure la rentrée de la France dans le concert des grandes puissances. »8 Il réorganise la France grâce au retour de la démocratie, en accordant le droit de vote aux femmes, en limitant l'épuration et en réformant l'Etat, l'économie et la société. En politique extérieure, la France obtient un siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU, une zone d'occupation en Allemagne. Comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'URSS et la Chine, la France est considérée comme un « pays vainqueur » de la guerre. Paris est le siège de l'UNESCO ; la France a une zone d'occupation en Allemagne. Le 10 décembre 1944, de Gaulle signe un traité d'amitié avec Staline pour réaffirmer l'indépendance française.
Le redressement de la France est exceptionnel. La reconstitution du pays est rapide. Au mois de juin 1945, 80 % des Français pensent que la place mondiale de la France est retrouvée. Le général de Gaulle réconcilie les Français qui ont vu mourir 600 000 compatriotes pendant l'Occupation.
Enfin, le 13 novembre 1945 , Charles de Gaulle est élu à l'unanimité par l'Assemblée constituante. Sa légitimité est donc incontestable car il s'appuie sur les textes de loi en vigueur. Il obtient ainsi une légitimité légale et démocratique.
1Voir Annexes p. 73 - Discours du général de Gaulle le 6 juin 1944
2Voir Annexes - Discours du 23 juillet 1945 du maréchal Pétain
3Voir Annexes p 73 - Discours du 18 août 1944 du maréchal Pétain
4D'après François Maurriac
5De Gaulle, selon Marc Ferro
6De Gaulle-Pétain, Le destin, la blessure, la leçon (Frédéric Salat-Baroux)
7Il ne l'oubliera d'ailleurs jamais.
8La Seconde Guerre mondiale : les acteurs (Pierre Vallaud)
Pétain le jour de son procès.
commenter cet article …